No 12 - déc. 2005 / jan. 2006

Un site historique menacé au Mexique

Noir Canada ?

par Mariano Torres

Mariano Torres

En 1995, la Compagnie Minière San Xavier, filiale de Glamis Gold & Metallica Resources Inc., a engagé des travaux d’exploration des gisements d’or et d’argent du village de Cerro de San Pedro dans l’État mexicain de San Luis Potosi. Rien d’étrange à cela, quand on sait que l’endroit a été fondé en 1592 à partir, justement, de la découverte de l’un des plus riches gisements d’argent et d’or du pays. Mais le problème aujourd’hui est que cet ambitieux projet suppose l’utilisation de techniques de travail équivalentes au lancement d’une bombe atomique sur une zone d’importance historique ! Ce projet exige, pour extraire le minerai, le forage d’un cratère de 1 000 mètres de diamètre et de 350 mètres de profondeur sur Cerro de San Pedro, quelque chose comme la disparition du Mont-Royal à Montréal, c’est-à-dire la destruction non seulement d’une montagne mais aussi d’un véritable symbole local et du lieu d’existence même de la communauté. Poser le problème ainsi peut sembler exagéré, et pourtant... Le site comporte, outre des métaux précieux, des vestiges de peuplement humain de plusieurs siècles, tant préhispaniques que d’origine vice-royale. De plus, ce lieu représente physiquement l’identité culturelle de l’État dans son ensemble, puisque Cerro de San Pedro figure dans les armes de la ville de San Luis Potosi et de l’État du même nom, et ce n’est pas un hasard. Second problème dans tout cela : la compagnie minière a utilisé des méthodes plutôt louches pour l’obtention de la propriété et de la jouissance du sol que suppose le projet.

Une population historique en danger

Le village Cerro de San Pedro est une petite communauté d’à peine 150 habitants, rescapés de la vague d’émigration causée par la fermeture en 1947 de l’ASARCO (l’American Smelting and Refinery Company, propriété de Rockefeller). On estime que 80,6 tonnes d’or et 1 290 tonnes d’argent ont été extraites entre sa fondation en 1592 et le retrait de l’ASARCO en 1947. Les habitants sont des ejidatarios, c’est-à-dire de petits paysans exploitant des terres de propriété publique laissées en usufruit à la communauté (ejidos), conformément au système agraire mis en place par les gouvernements mexicains post-révolutionnaires. Cela signifie que ce ne sont ni des terres de propriété privée ni des terres aliénables.

On trouve dans la commune des vestiges de l’exploitation minière préhispanique, deux temples construits au XVIIe siècle, diverses ruines d’ « haciendas de beneficio », ou des sites d’origine vice-royale où l’on traitait le minerai, datant également des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. On peut aussi y trouver des ateliers, des entrepôts, des laboratoires, des canaux, des ponts, des barrages, des trémies, des fours, etc., de différentes époques déjà mis en péril du fait qu’il n’existe aucun projet de sauvegarde de ces sites d’importance historique et culturelle. Dans le sous-sol du centre urbain de Cerro de San Pedro, on trouve aussi trace des fosses des anciennes mines.

Les éléments de la menace

D’après les lois mexicaines, il faudrait, pour réaliser un projet d’exploitation sur un site présentant de telles caractéristiques, compter sur l’autorisation du Secrétariat de l’Environnement et des Ressources naturelles (SEMARNAT) pour déterminer l’impact environnemental des activités envisagées. De même, une autorisation de l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire (INAH) est-elle nécessaire du fait qu’il s’agit d’une zone comprenant des vestiges historiques antérieurs au XXe siècle ayant valeur patrimoniale et historique.

Or, le projet de la Compagnie Minière San Xavier a la prétention de réaliser un cratère pour l’extraction du matériau de 1 000 mètres de diamètre et de 350 mètres de profondeur. Le bord de cette fosse se trouverait à 50 mètres seulement de la zone urbaine d’habitation ! D’autre part, durant les travaux, 75 000 tonnes de matériau seraient extraites moyennant l’utilisation de 13 tonnes d’explosif. À cela s’ajoute que sa mise en œuvre impliquerait l’usage de 16 tonnes de cyanure de sodium... par jour ! Et... s’il en faut encore !, les besoins de l’exploitation entraîneraient l’usage d’un million de m3 d’eau par jour et de 370 hectares de terrain, dont seulement 100 hectares seraient réutilisables ; 178 hectares de matériau rocheux sans minerai utilisable seraient en outre nécessaires pour divers travaux.

D’évidence, un tel projet devrait se voir refuser l’approbation par chacune des deux institutions mentionnées. Les altérations du paysage et la destruction de vestiges s’étendraient sur plus de 400 hectares de terrain, lequel resterait cyanuré ; un cratère contaminé prendrait lieu et place d’une montagne d’importance historique, sans compter l’apparition d’une succession de monticules de 60 mètres de hauteur, contaminés eux aussi, tout cela en plus du déplacement forcé et définitif des actuels usufruitiers du village !

Une réalité stupéfiante

Et voici la perverse symbiose des facteurs expliquant les progrès de ce projet malgré toutes les circonstances négatives. D’une part, les politiques à court terme du gouvernement mexicain d’attraction des investissements étrangers pour résoudre les problèmes d’emploi et de revenus dans le pays. Politiques qui, dans des cas tels que celui-ci, laissent de côté les intérêts nationaux à long terme. De même la facilité avec laquelle les autorités mexicaines se laissent corrompre et leur habileté à déformer, voire franchement violer, les lois et règlements en vigueur. Tout cela combiné aux intérêts des grandes corporations cherchant à réaliser des profits n’importe où dans le monde, sans tenir compte de l’atteinte à la qualité de vie des habitantes des communes concernées.

Mais quelle est la partie la plus obscure du projet ? Pour commencer, signalons l’étrange acquisition de terrains de propriété publique, qu’ils soient municipaux ou ejidos. D’autre part, on apprend l’achat de propriétés abandonnées par le biais de contrats privés conclus avec des sujets dépourvus de personnalité juridique claire. Et, pour finir, la location d’autres ejidos à des groupes fictifs d’usufruitiers. Tels ont été les moyens utilisés par la compagnie minière pour avoir accès aux terrains convoités. Pour couronner le tout, la jouissance d’immeubles d’époque a déjà été octroyée, avec autorisation de l’INAH, ainsi que la fermeture de chemins vicinaux ; sans parler de l’acquisition illégale de droits d’extraction d’eau dans une zone désertique où celle-ci est un bien rare et précieux, et ce, alors même que si les travaux d’extraction minière étaient engagés, elle viendrait elle aussi à être contaminée de façon irrémédiable.

Il est évident que toutes ces opérations ne sont possibles que dans un contexte de corruption et d’inconscience des autorités responsables. Les faibles ressources financières des ejidatarios et leurs courageuses dénonciations devant les autorités agricoles et judiciaires ont été jusqu’à présent les seuls recours dans une lutte pour le droit de survie qui se poursuit encore.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème