No 13 - février / mars 2006

La nationalisation de l’eau

Un faux débat

par Serge Roy

L’été dernier, les Jeunes libéraux réunis en congrès ont discuté d’une proposition visant à demander au gouvernement de nationaliser l’eau. Dans les semaines qui suivirent, on a pu lire et entendre des réactions donnant à penser que cette idée pourrait être vue comme une solution face à la convoitise qu’entretiennent certains intérêts pour cette ressource vitale.

Une réflexion sérieuse sur le sujet, s’appuyant sur quatre principes fondamentaux, peut cependant mener à la conclusion que la nationalisation de l’eau est tout simplement à éviter si l’objectif est de protéger l’eau, en tant que bien commun, de toute forme d’appropriation et de détérioration afin d’en assurer un usage durable pour les générations actuelles et futures.

Le premier principe affirme que l’accès à l’eau, source de vie irremplaçable, est un droit humain, individuel et collectif. Ensuite, l’eau est un bien commun de l’humanité. Le troisième principe énonce que le financement nécessaire à la mise en œuvre du droit d’accès à l’eau doit être collectif et solidaire. Enfin, toute politique de l’eau doit être démocratique à tous les niveaux : local, national, continental et mondial.

Dans le débat qui nous intéresse, il importe de soulever deux questions de fond : 1) Considérant le cycle planétaire de l’eau, la nationalisation de cette ressource sur un territoire donné est-elle à même de garantir ou au moins de contribuer à la pérennité de cette ressource vitale et d’en assurer l’accès universel aujourd’hui et pour les générations futures ? 2) La nationalisation de l’eau constitue-t-elle un moyen efficace de la mettre à l’abri de la marchandisation ?

Rappelons que l’eau est une ressource écosystémique, ou une ressource vitale, c’est-à-dire qu’elle est essentielle à l’ensemble de la vie et de la reproduction des milieux de vie. L’eau douce et le cycle hydrologique remplissent des fonctions essentielles à la fois pour les écosystèmes et pour les êtres humains : fonction de survie et de santé ; fonction habitat pour de nombreuses espèces ; fonction de transport des nutriments, des minéraux et de tous les éléments dont nous avons besoin pour vivre ; fonction de production. Il nous semble important d’avoir à l’esprit ces fonctions lorsqu’il s’agit de décider des mesures à prendre pour protéger l’eau.

Nationaliser l’eau n’égale pas « protéger l’eau »

La nationalisation de l’eau réfère, en fait, à la dernière des fonctions que nous venons de mentionner, celle de production. Elle concerne les usages économiques de l’eau. Une fois l’eau nationalisée, quelles seront les responsabilités et les pouvoirs associés à cette nationalisation ? La proposition de la nationalisation de l’eau viserait à empêcher la commercialisation de l’eau par des intérêts privés, possiblement étrangers. Mais, cela ne suppose-t-il pas aussi que l’eau pourra être commercialisée par une sorte d’Hydro-Québec de l’eau ? Alors, que l’eau soit commercialisée par une entreprise publique plutôt que par des intérêts privés ne change rien au caractère commercial de l’opération et au statut de marchandise attribué à l’eau dans ce contexte.

Les expériences de nationalisation un peu partout dans le monde, y compris chez-nous, dans le secteur de l’hydroélectricité, apparaissent comme positives dans la mesure où elles visaient le contrôle collectif des ressources, des services, des secteurs de production. Dans tous les cas, on se situe sur le terrain de l’activité économique et il s’agit d’assurer la propriété collective. Or, dans le contexte de la mondialisation de l’économie, cela ne peut en aucun cas constituer un instrument efficace pour protéger une ressource vitale telle que l’eau de l’application des règles du marché, de sa marchandisation. On n’a qu’à penser à Hydro-Québec qui, lorsqu’elle « vend » de l’électricité aux États-Unis, se doit de respecter les règles du commerce international s’appliquant à sosecteur d’activité. La nationalisation sert à changer qui possède et qui bénéficie mais aucunement à exclure une ressource ou une chose du commerce et de ses règles.

Consacrer le caractère inappropriable de l’eau

À partir du moment où nous voulons d’abord et avant tout consacrer le caractère inappropriable de l’eau, nous voyons bien que la nationalisation n’est pas d’un réel secours. Elle pourrait même accélérer la marchandisation de cette ressource.

Il faut plutôt nous responsabiliser collectivement pour la protection à long terme de l’eau qui ne fait que traverser notre territoire. Il faut rendre imputable l’État québécois de la préservation des écosystèmes et de l’accès à l’eau pour tous et toutes. Il faut donc confirmer la responsabilité publique de la gestion de la ressource et mettre en place des mécanismes plus contraignants de reddition de comptes et de contrôle démocratique. À titre d’exemple, le gouvernement du Québec peut déjà imposer des redevances aux grands utilisateurs d’eau sans avoir besoin de recourir à la nationalisation.

De plus, si nous voulons inscrire le Québec dans la mouvance des pays qui, tels l’Uruguay et les Pays-Bas, protègent l’eau de la marchandisation, si nous voulons positionner haut et fort l’État québécois comme fiduciaire d’une ressource vitale pour l’humanité et pour toutes les espèces vivantes, alors la meilleure garantie est de consacrer le caractère inappropriable de l’eau, au même titre que le soleil, l’air et plus encore, la pluie. En lieu et place de la nationalisation, le gouvernement doit adopter, avant qu’il ne soit trop tard, une loi et des règlements qui protègent concrètement et efficacement l’eau.

Le site de l’Association québécoise pour un contrat mondial de l’eau (AQCME)

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