Dossier : Syndicalisme, l’heure (…)

Syndicalisme

Organiser les atypiques

par Isabelle Renaud

Isabelle Renaud

Emploi à temps partiel, travail à durée temporaire, travail occasionnel, contractuel, cumul d’emplois et emploi autonome sont tous des termes désignant ce qu’on entend généralement par « travail atypique ». Même si le salariat (travail temps plein à durée indéterminée) demeure encore aujourd’hui la forme de travail la plus répandue, les emplois atypiques, où les taux de syndicalisation sont bas, ne cessent de s’accroître. Par ailleurs, la syndicalisation de ce type d’emploi est un enjeu majeur pour le mouvement syndical s’il veut maintenir et renforcer sa représentativité, l’un des éléments importants de sa force.

Pour amorcer une réflexion sur l’importance de la syndicalisation des emplois atypiques au Québec et au Canada, il faut voir comment le secteur tertiaire (services) s’est développé à une vitesse fulgurante depuis les 25 dernières années. En effet, la tertiarisation des économies québécoise et canadienne est un phénomène marquant de nos sociétés, car en seulement quelques décennies, ce secteur est devenu le plus important en matière de création d’emplois et en matière de production (PIB). « Cette prépondérance accrue du secteur des services reflète une transformation socioéconomique tout aussi importante que l’a été le passage d’une économie agraire à une économie industrielle. » [1] La tertiarisation de l’économie a provoqué une transformation majeure dans nos structures sociétales et, par la même occasion, dans l’organisation du travail. Même si le travail atypique ne se réduit pas au secteur des services, il est indéniable que c’est là qu’il s’est développé massivement.

Face à cette nouvelle réalité, les syndicats québécois et canadiens n’ont pas réussi à maintenir la cadence et à syndiquer massivement les travailleurs et les travailleuses atypiques. Cela s’explique notamment par un taux de roulement du personnel élevé, par l’augmentation du télétravail, par une dispersion d’entreprises avec peu d’employés, par une main-d’œuvre dont les salaires bas rendent la perception de cotisations peu attrayante, par les assauts des gouvernements néolibéraux, etc. La liste des facteurs expliquant les retards en matière d’organisation des atypiques est longue. Néanmoins, la complexité de ce type d’organisation exige une remise en cause des stratégies utilisées en matière de syndicalisation du salariat et stimule la créativité.

C’est dans cette optique que des initiatives d’organisation ont débuté dans le secteur universitaire au Québec en 2003. Par la syndicalisation des auxiliaires d’enseignement et des assistantes de recherche, le Syndicat de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) a décidé de consacrer ses efforts dans un champ où l’atypisme et la précarité marchent de pair. Ce choix conscient a non seulement bouleversé positivement la culture syndicale à l’interne, mais a aussi permis à cette organisation de se préparer une relève pour le futur. Même si les syndicats ont le réflexe naturel de se battre contre les formes de travail atypique, celui-ci est là pour rester. Par conséquent, il faut trouver des réponses syndicales adéquates pour les travailleurs atypiques. Tout en continuant de dénoncer la précarité grandissante, les organisations syndicales doivent œuvrer sur trois volets simultanément.

Primo, le mouvement syndical devrait repenser ses stratégies à l’interne, c’est-à-dire à l’intérieur des différents syndicats qui le composent. Entre autres, il faudrait remédier à un dysfonctionnement interne qui consiste à calculer le recrutement de nouveaux membres en coûts/bénéfices à court terme. Certes, il est vrai que sur une courte période de temps, un nouveau syndicat local de travailleurs atypiques n’est souvent pas avantageux d’un point de vue monétaire. Cependant, il faut dès maintenant acquérir de l’expérience dans la syndicalisation du travail atypique puisque l’avenir du mouvement se joue littéralement sur cet enjeu. Deuxio, les syndicats devraient se rapprocher davantage du milieu communautaire pour rejoindre un plus large public. En travaillant de concert avec les groupes communautaires, le mouvement syndical doublerait ses forces et pourrait mettre sur pied des stratégies qui feraient en sorte que les nouvelles accréditations seraient viables à long terme. Tertio, les organisations syndicales québécoises et canadiennes devraient former des alliances sur le plan international avec d’autres syndicats pour faire face aux politiques d’emploi des grandes multinationales. La création d’alliances sur le plan international peut sembler irréalisable puisque, d’un point de vue local, les différentes organisations syndicales n’arrivent même pas à s’entendre. Pourtant, il s’avère parfois moins difficile de coopérer avec des syndicats à l’étranger qu’avec nos voisins immédiats.

L’organisation des emplois atypiques n’est donc plus une option parmi les autres. La syndicalisation de cette main-d’œuvre représente d’ores et déjà l’une des conditions fondamentales de régénérescence du mouvement syndical québécois et canadien.


[1Ministère de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie du Québec, La tertiarisation de l’économie, p. 1.

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