Et la meilleure école est... privée !

No 21 - oct. / nov. 2007

Chronique Éducation

Et la meilleure école est... privée !

par Normand Baillargeon

Normand Baillargeon

Les semaines qui viennent vont nous ramener, dans les pages du magazine L’Actualité, le fameux Palmarès des écoles secondaires du Québec. Publié depuis quelques années déjà, ce palmarès suscite à chaque fois de vives controverses.

Derrière le palmarès des écoles, le marché

Ses détracteurs lui reprochent d’abord de se centrer sur quelques variables comme la réussite académique et de donner ainsi une vision très réductrice de ce qu’accomplissent les écoles. Ils lui reprochent encore de ne nous apprendre, à propos de la réussite académique, que ce que tout le monde sait d’avance, à savoir que les écoles (surtout privées, mais aussi publiques) qui sélectionnent leurs élèves à l’entrée ont des taux de succès supérieurs à celles qui ne les sélectionnent pas et que toutes ces écoles ont des taux de succès supérieurs aux écoles pour raccrocheurs ou pour élèves en difficulté. Pire encore, concluent ces critiques, ce palmarès, loin de concourir à corriger cette situation, l’aggrave en incitant les parents à se précipiter sur les écoles les mieux cotées, sans rien faire ni pour reconnaître la situation particulière des écoles des milieux défavorisés et leurs accomplissements, souvent remarquables, ni pour les aider à mieux faire.

Les partisans du palmarès et ses artisans conviennent (parfois) de la pertinence de ces critiques, mais ils maintiennent que cet exercice, tout imparfait soit-il, reste pertinent et même nécessaire. Deux arguments sont alors typiquement invoqués en sa faveur. Le premier concerne l’imputabilité des personnes et des institutions. Nous dépensons collectivement des milliards par an pour l’éducation et il n’est que normal que nous puissions nous assurer du bon usage de ces ressources. Le palmarès des écoles serait un outil le permettant. Le deuxième argument concerne la liberté de choisir des parents : grâce au palmarès, ceux-ci disposent d’informations utiles pour choisir une école qui leur convienne.

Ces deux arguments méritent réflexion et on ne peut d’autant moins les balayer du revers de la main qu’ils sont précisément ceux qu’avancent le plus souvent les personnes prônant d’en finir avec le quasi-monopole de l’État pour dispenser l’éducation et préconisant plutôt de recourir au marché pour ce faire. Cette position, on l’a deviné, est justement celle des artisans du palmarès, qui est publié conjointement par l’Institut Économique de Montréal – auquel est consacré ce numéro d’À bâbord ! – et le Fraser Institute, qui se targue de proposer aux problèmes des politiques publiques des solutions fondées sur le recours à un marché compétitif (« Competitive market solutions for public policy problems » est le slogan de ce think tank).

Que penser du recours aux marchés en éducation ? Peut-on raisonnablement soutenir qu’il solutionnera de manière souhaitable les problèmes liés à l’imputabilité et à la liberté de choix ? Est-il souhaitable de limiter – voire d’abolir – le rôle de l’État en éducation ?

Voyons cela de plus près.

Les promesses du marché en éducation

Un marché est un mécanisme qui permet l’allocation de ressources, la consommation et la production. On y retrouve des vendeurs et des acheteurs qui échangent des biens ou des services et qui prennent leurs décisions de produire ou de consommer en se fondant sur les prix.

En introduisant une dynamique de marché en éducation, on prétend corriger les deux défauts majeurs évoqués plus haut et qu’engendrerait sa dispensation par l’État : la (trop grande) non-imputabilité des « vendeurs » et la (trop grande) limitation de la liberté de choix des « consommateurs ».

Dans un marché de l’éducation, assure-t-on, les parents et les groupes pourront librement fonder ou choisir des écoles conformes à leurs désirs et à leurs besoins ; les prix demandés fourniront les informations indispensables pour prendre de bonnes décisions ; le marché engendrera de plus une saine compétition entre les écoles, haussant ainsi leur qualité et leurs performances ; il éliminera enfin les écoles de mauvaise qualité ou pour lesquelles il n’y a pas assez de demande.

De telles promesses sont alléchantes. Mais sont-elles raisonnables ? Il y a tout lieu de ne pas le croire. Et pour commencer, comment, concrètement, instaurerait-on un marché de l’éducation ? La solution le plus souvent préconisée serait de créer un système de bons d’éducation – on se souviendra que c’est précisément ce que proposait l’ADQ il y a quelques années.

Les bons d’éducation

L’idée a d’abord été avancée dans les années 1950 par le grand prêtre de l’École de Chicago, Milton Friedman (1912-2006). En gros, on remettrait à chaque parent un bon représentant le montant d’argent que coûterait à l’État une année scolaire de son enfant. Le parent pourrait ensuite dépenser ce bon dans l’école, publique ou privée, de son choix. Ce système a été essayé à petite échelle en quelques endroits et on débat ferme sur les effets qu’il a eus. Cependant, on peut prédire que s’il se généralisait, il aurait plusieurs conséquences déplorables.

Pour commencer, la véritable liberté de choisir sera celle des écoles bien plus que des parents : le transport scolaire et le lieu de résidence limiteront en effet fortement la liberté de choisir des parents, tandis que les écoles, elles, pourront, à leurs conditions, accepter qui elles veulent et refuser qui elles ne veulent pas. Les écoles de meilleure qualité demanderont de substantiels montants en sus des bons ; elles n’admettront que les cas faciles, laissant aux écoles publiques désormais sans financement adéquat l’obligation d’accepter tout le monde (cas problèmes, difficultés d’apprentissage et ainsi de suite). Dès lors, on peut prédire que le marché conduirait à mettre très fortement à mal des valeurs démocratiques et égalitaires chères à bien des gens (accueil de chacun, création d’une culture commune, respect des différences, égalité des chances).

Devant ces critiques et quelques autres, l’ADQ a reculé avec son projet de bons d’éducation. Mais l’idée de créer un marché de l’éducation, sous une forme ou une autre (par des écoles à chartes, par exemple), reste dans l’air dans certains milieux et le fameux palmarès la propage. Pour ma part, tout en reconnaissant les immenses périls que le monopole étatique peut faire courir à l’éducation ainsi que la nécessité de rendre les personnes et les institutions plus réellement imputables et l’importance d’offrir des choix éducationnels réels aux parents (ce qui existe déjà un peu dans notre système public), je pense qu’il faut combattre le principe même de la marchandisation de l’éducation.

Pour le dire en un mot, je pense que derrière la rhétorique très séductrice qui est déployée – on parle de droits, de choix, de contrôle et de responsabilité individuelle – on occulte le fait qu’un marché compétitif pour un bien social comme l’éducation produit aussi de substantielles injustices de distribution : au total, une liberté formelle de choix pour tous implique que des opportunités seront nécessairement limitées pour certains.

Une autre façon de dire cela est de rappeler que l’éducation n’est pas une marchandise. Et en y regardant de plus près, on remarque d’ailleurs que ce que l’on peut offrir sur un marché, ce sont des occasions et des modalités d’éducation, pas l’éducation elle-même, laquelle ne peut être vendue ou achetée. Au total, le marché, qui dévalue les biens publics et tient mal compte des effets (positifs ou négatifs) qu’une transaction entre contractants a sur tous les autres (ce qu’on appelle les externalités, qui sont en éducation positives : chacun bénéficie de vivre dans une société dont les membres sont éduqués), est un mauvais mécanisme pour distribuer l’éducation, d’autant que les prix sont des indicateurs très imparfaits pour l’évaluer et que les parents sont souvent mauvais juges.

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