De vocation à profession

No 52 - déc. 2013 / janv. 2014

Mémoire des luttes

De vocation à profession

1963- 250 infirmières défient la loi et déclenchent la grève générale

Jean-Pierre Larche

Durant un mois, d’octobre à novembre 1963, quelque 250 infirmières de Sainte-Justine se mettent en grève pour obtenir une véritable reconnaissance de leur travail. De vocation sous les auspices des bonnes sœurs, le travail infirmier deviendra une profession. Ces infirmières ont pavé la voie à la reconnaissance syndicale dans tout le secteur public. Retour sur une grève historique méconnue.

Les premiers syndicats d’infirmières de la CSN dans le milieu hospitalier font leur apparition à la fin de la Seconde Guerre mondiale. De 1944 à 1961, les infirmières d’une douzaine d’établissements québécois se syndiquent. La mise en place de l’assurance-hospitalisation en 1961 change la donne. Au début des années 60, des centaines d’infirmières d’autres établissements s’organisent elles aussi. Le secteur est à un tournant : les hôpitaux sont toujours gérés majoritairement par les communautés religieuses, ce qui cadre de moins en moins avec l’ambition sociale des Québécoises et des Québécois de se doter d’un réseau de la santé moderne.

C’est dans ce contexte que les infirmières de Sainte-Justine se syndiquent au début de l’année 1963. Devant l’impossibilité de faire reconnaître leurs droits par les mécanismes d’arbitrage en place, elles déclenchent la grève. Cela forcera l’intervention du gouvernement, en secret, parce que, à l’époque, la « Reine ne négociait pas avec ses sujets ». Quelques années plus tard, en 1966, une nouvelle grève de trois semaines coordonnée dans plusieurs établissements montréalais allait finalement forcer le gouvernement à prendre en main l’organisation des services, en relève aux communautés religieuses dépassées par les revendications des infirmières.

De grandes victoires

Que voulaient-elles exactement ? Essentiellement, elles voulaient les moyens de mieux faire leur travail, d’offrir une meilleure qualité de services. Bref, une aspiration professionnelle encore d’actualité aujourd’hui ! Parmi leurs gains de l’époque, notons l’introduction d’un comité de soins infirmiers, la mise en place d’un régime de retraite, des limitations au fardeau de tâches, l’affichage des postes, la reconnaissance de l’ancienneté, la retenue des cotisations syndicales à la source, une échelle de salaires et des clauses de griefs. Ces gains furent d’abord consignés dans une entente qui devait rester secrète, parce qu’elle liait le gouvernement, pour une première fois, et celui-ci craignait d’ouvrir la porte aux autres infirmières québécoises. Mais les dés étaient lancés, ce n’était qu’une question de temps pour que toutes les infirmières réclament les mêmes droits. D’ailleurs, les infirmières d’une cinquantaine d’autres hôpitaux joindront la CSN entre 1963 et 1970.

Si tous ces gains passent aujourd’hui pour des acquis aux yeux de plusieurs, il ne faut pas oublier qu’elles ont dû les arracher contre vents et marées. Leur grève était illégale. Elles faisaient face à un gouvernement hostile à leurs revendications et aux syndicats dans les services publics. À une époque où une bonne partie des élites considéraient encore que la place d’une femme était au foyer. Bref, dans leur optique, les infirmières se devaient de rendre service à la population parce que c’était inscrit dans leur génétique, en quelque sorte, mais pas question de reconnaître cette contribution comme un travail salarié... Ça c’était l’affaire des hommes !

Infirmière au CHU Sainte-Justine depuis 1990, Nadine Lambert est aujourd’hui vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN). « Il est important de garder cette lutte courageuse en mémoire, souligne-t-elle. Nous devons nous inspirer d’elles. Les temps ont changé, bien sûr, mais nous devons rester vigilantes. Les prochaines négociations ne seront pas simples alors que nous sommes en plein renouvellement de main-d’œuvre, le plus important de l’histoire en fait. Et avec la montée d’une certaine droite qui rêve plus que jamais de nous faire taire, de nous faire reculer dans nos droits, il faut nous serrer les coudes et nous rappeler de tout le chemin parcouru par celles qui nous ont précédées. »

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème