Trois manifestes syndicaux CSN-FTQ- CEQ

No 51 - oct. / nov. 2013

Trois manifestes syndicaux CSN-FTQ- CEQ

Ariane Gagné

Ne comptons que sur nos propres moyens, CSN, M Éditeur, 2012

L’État rouage de notre exploitation, FTQ, M Éditeur, 2012

L’école au service de la classe dominante, CEQ, M Éditeur, 2012

1971-1972. Le Québec connaît une période d’agitation sociale sans précédent. La crise d’Octobre bat son plein sur fond de révolte populaire et de suspension des libertés civiles. Au plan syndical, la grève des pressiers de La Presse donne lieu à un véritable affrontement entre la direction du journal d’une part, et la FTQ et la CSN de l’autre. Ce conflit précède la grève générale illimitée déclarée par le front intersyndical FTQ-CSN-CEQ en 1972 pour améliorer le sort des plus bas salariés·es du secteur public. Encouragés par les trois leaders syndicaux, quelque 210 000 travailleuses et travailleurs défient injonctions et loi spéciale. Ce sera l’emprisonnement des chefs.

C’est dans ce climat que chacune des trois organisations publie son manifeste. Ceux-ci se veulent le fruit d’une importante réflexion sociale sur l’urgence de sortir le Québec de la domination capitaliste.

Se donner les moyens

« Travailleurs québécois, cessez de compter sur un climat favorable à l’investissement étranger pour avoir une job !  » Cet appel lancé dans Ne comptons que sur nos propres moyens de la CSN vient canaliser le ras-le-bol des travailleuses et travailleurs québécois qui assistent, impuissants, à de nombreuses mises à pied et fermetures d’usines.

Mais les mécanismes qui donnent à la classe dominante la possibilité d’utiliser les travailleurs à son profit sont complexes. Comment se développer au plan industriel quand les investissements étrangers servent principalement à racheter des compagnies québécoises et canadiennes existantes ? Quand les profits engendrés ici, grâce aux ressources et à la main-d’œuvre d’ici, sont drainés vers les États-Unis ? Les réformes visant à nous donner les outils pour contrôler notre développement économique, portées par le slogan « Maîtres chez nous », n’ont pas porté fruit : l’État québécois continue à être un État de service, au service de Toronto et de Wall Street. En guise de simple illustration, les trois quarts de notre production minière sont contrôlés en 1968 par les entreprises multinationales.

Il faut donc repenser le système, prendre en charge nos moyens de production afin de stopper le chômage endémique produit par l’impérialisme décrié. C’est par l’action politique et la mobilisation populaire que la lutte doit se faire, nous dit la CSN.

L’État complice

Comme en écho, la FTQ met pour sa part en lumière, dans L’État rouage de notre exploitation, des politiques de subvention de l’État canadien et de l’État québécois, qui ne sont en définitive que des politiques économiques de soutien à l’entreprise privée. Grâce notamment aux subventions ainsi qu’aux exemptions d’impôts et de taxes qu’il accorde, l’État perpétue les inégalités régionales. Une grande partie de son financement est concentrée entre les mains d’entreprises dont l’accès aux capitaux ne constitue pourtant pas un problème. Ce faisant, l’État maintient le contrôle étranger sur l’économie québécoise et reproduit la structure économique déficiente du Québec.

La FTQ soulève dans son manifeste des questions importantes. À quel point peut-on parler d’entreprises privées, alors que celles-ci bénéficient d’injections faramineuses de fonds publics ? Quel niveau de profits est raisonnable dans cette perspective ? Est-il justifié de laisser ces entreprises interrompre la production de biens ? Peut-on vraiment assister sans bouger aux licenciements massifs qu’elles provoquent lorsqu’elles estiment que les profits ne sont pas suffisamment au rendez-vous ?

L’État doit prendre le contrôle de son économie et sortir de cette domination ; il doit retirer au secteur privé la responsabilité qu’il lui a confiée de développer le Québec. Le constat de la FTQ vaut plus que jamais en 2012.

L’école et l’idéologie dominante

Le culte de l’individualisme, de la discipline, de la compétition et de la hiérarchie à l’école reproduisent les inégalités sociales du système. Bien malgré eux, « les enseignants armés de bulletins, dossiers, fiches de comportement préparent consciencieusement de futurs exploiteurs et de futurs exploités », peut-on lire dans L’école au service de la classe dominante. Loin d’être aussi démocratique qu’on le dit, l’école forme une main-d’œuvre abondante et docile pour combler les besoins du système. Cette triste réalité fait naître dès l’enfance une désolidarisation qui persiste tout au long de la vie.

La critique de la CEQ semblait déjà prédire l’état du système actuel : transformation des élèves en clients, de l’éducation en produit, deniers publics redirigés pour financer l’école privée, institutions soumises aux contrats de performance… Elle met en relief, comme à rebours, les revendications du printemps dernier et montre à quel point rien n’a changé depuis 1970.

À la lecture de ces trois manifestes, en somme, un constat se dégage clairement : l’État est complètement inapte à faire face à la toute-puissance du privé et de ses monopoles. Tant et aussi longtemps qu’il sera là pour défendre les intérêts de la classe capitaliste, il ne remplira pas le rôle qui lui incombe : servir le bien-être collectif.

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