Recension de Stéphane Courtois, Communisme et totalitarisme, Paris, Perrin, 2009.

12 mars 2013

Recension de Stéphane Courtois, Communisme et totalitarisme, Paris, Perrin, 2009.

François Doyon

À la lecture de Communisme et totalitarisme de Stéphane Courtois, je me suis demandé pourquoi les symboles traditionnels du communisme sont encore si populaires chez certains intellectuels et militants. À en croire cet historien, la figure de Lénine devrait inspirer presque autant de dégoût que celle de Hitler.

La définition du communisme qu’utilise Stéphane Courtois est très inclusive. Il utilise le mot communisme pour désigner des réalités aussi différentes que l’expérience bolchevique menée en Russie sous Lénine (1917-1923) et Staline (1928-1953), la révolution maoïste en Chine, le communisme de la Corée du Nord de Kim Il-sung au Vietnam de Ho Chi Minh en passant par l’enfer de Pol Pot, ainsi que le régime de Castro à Cuba, de Mengistu en Éthiopie ou de Dos Santos en Angola. La thèse principale de Courtois est que la terreur est le mode ordinaire de gouvernement dans l’ensemble des régimes communistes. Staline n’est pas le seul coupable. Lénine a été, selon Courtois, « un leader bolchevique extrémiste, fanatique, cruel, et pour tout dire inventeur du phénomène totalitaire et de son cortège de crime contre l’humanité » (p. 14). Nikita Khrouchtchev n’est pas en reste. Il demanda à Staline l’autorisation de déporter les femmes et les enfants des officiers polonais assassinés. Il réaffirma la dimension totalitaire du régime après 1957 en rétablissant l’omnipotence du parti sur l’appareil d’État. S’opposant ainsi à Hannah Arendt qui situait la naissance du totalitarisme en Russie avec le début du règne de Staline, Courtois défend la thèse d’un communisme totalitaire par essence qui a commencé à germer dès la publication du Que faire ? de Lénine en 1902.

Pour prouver sa thèse, Courtois va surtout aligner des nombres. Le nombre d’intellectuels et d’opposants déportés ou exécutés, le nombre de personnes disparues dans les camps de travail. Il va montrer que le carnage a commencé sous les ordres de Lénine et que Staline n’est qu’un élève qui a su dépasser son maître.

Courtois va ensuite exposer le bilan catastrophique des régimes communistes. Sur le plan économique, le désastre a été général. Les pays de l’Est ont pris après 1945 un retard très net. L’Albanie a sombré sous le règne des mafias. Le communisme a laissé le Cambodge, la Corée du Nord et l’Éthiopie exsangues. Le Viet Nam et Cuba sont en situation de faillite permanente.

Le désastre est également culturel avec la fermeture au monde des pays communistes durant des décennies, l’abrutissement causé par le matraquage idéologique, la répression des intellectuels, de la presse et des éditions libres. Il y a aussi le saccage systématique des églises en ex-URSS, des objets d’art en Chine au temps de la révolution, la destruction d’ensemble architecturaux historiques en Roumanie.

Les régimes communistes ont condamné à l’exil des dizaines de milliers de personnes, contraintes de fuir les révolutions pour tenter d’échapper au massacre de ceux qui s’opposent au communisme. En effet, les régimes communistes prémédité et organisé la mort de millions d’individus, selon trois modalités principales. Premièrement, il y a l’exécution pure et simple. Parmi les massacres les plus significatifs, notons « celui des 50 000 soldats blancs faits prisonniers en Crimée en 1920, celui des dizaines de milliers de paysans révoltés traités aux gaz de combat par l’Armée rouge dans la région de Tambov en 1920, celui des 700 000 personnes exécutées durant la Grande Terreur soviétique en 1937-1938 – y compris sur la base de listes visées personnellement par Staline et d’autres dirigeants soviétiques —, des 25 700 responsables polonais assassinés sur ordre du Bureau politique du PC soviétique en date du 5 mars 1940 – parmi lesquels les 4 400 officiers de Katyn —, en Chine l’assassinat systématique des propriétaires fonciers au cours d’abominables séances collective dans les villages ; ou encore la liquidation systématique dans le Cambodge de Pol Pot de tous ceux qui portaient lunette et stylo, soupçonnés d’être des intellectuels, donc irrécupérables » (p. 315-316). Deuxièmement il y a la mort par le travail forcé. Dans les premiers camps de concentration soviétique, créés à l’été 1918, une forte majorité des détenus étaient condamnés à une mort rapide. À partir de 1928-1929, le régime soviétique instaure le Goulag. Présenté comme un système de rééducation par le travail, c’est en fait un système de destruction psychologique des individus. En Roumanie, dans la prison de Pitesti, un grand nombre d’étudiants ont été soumis à un processus de rééducation de groupe où chacun était contraint, lors de séances collectives, de torturer les autres afin de les obliger à se démasquer, en dénonçant leurs proches et en avouant des crimes imaginaires, comme le viol de leur sœur, relations incestueuses avec leur mère, etc. Il y a enfin la famine. Lénine vantait les mérites du rationnement du ravitaillement, avec son slogan « Qui ne travaille pas ne mange pas », inspiré de saint Paul. Le contrôle des approvisionnements a été commun à tous les régimes communistes et à souvent abouti à la famine. La famine en Corée du Nord a tué des dizaines de milliers de personnes, surtout des enfants. En Ukraine, entre 1932 et 1933 4 à 5 millions de personnes sont mortes de faim. Au Cambodge, environ 800 000 personnes sont mortes entre 1975 et 1978. Les famines fournissent la grande majorité des victimes du communisme : 10 à 12 millions de morts en URSS, 30 à 40 millions au moins en Chine, 800 000 au Cambodge.

Au total, dit Courtois, « [s ] i l’on additionne les victimes provoquées directement, sous tous ces régimes (l’URSS, la Chine, le Cambodge, la Corée du Nord, l’Afrique, l’Europe de l’Est, l’Afghanistan et le Vietnam), par les exécutions, la déportation, le travail forcé et les famines – et sans compter les morts de la guerre –, le total avoisine les 100 millions, même si les chiffres font encore l’objet de débats et de recherche. » (p. 319). Sur le plan du nombre de personnes tuées au nom d’un idéal politique, le communisme se compare facilement au nazisme, et selon Courtois, l’utilisation systématique de la terreur fait par conséquent du communisme un régime politique criminel par essence.

On peut sans doute critiquer la comparaison du communisme avec le nazisme, le génocide d’une race n’étant pas exactement la même chose que le génocide d’une classe sociale. Le nazisme est mû par la haine des Juifs alors que le communisme, au moins théoriquement, est mû par l’amour de l’égalité et de la justice. Reste que le résultat est le même : des millions de morts au nom d’une idéologie totalitaire. Mais, d’après moi, le plus grave problème du livre de Courtois est l’emploi du terme communisme au singulier. Peut-on vraiment réduire tous les communismes que l’histoire a connus à une seule propriété fondamentale ? Le communisme est-il nécessairement criminel et totalitaire ? Courtois répond à cette question par l’affirmative. Il me semble que c’est une simplification abusive. On pourrait aussi reprocher à Courtois d’ignorer les millions de morts causés par le capitalisme. Pensons seulement à tous les morts causés par la politique étrangère des États-Unis ou simplement des suites de la pauvreté. N’oublions pas que les États-Unis ont un taux de mortalité infantile de presque 5 pour 1000, ce qui est énorme pour un pays aussi riche. Malgré ces quelques critiques, la lecture de Communisme et totalitarisme reste intéressante, ne serait-ce que pour voir à quel point l’adage « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument » est d’une profonde vérité.

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