La gratuité scolaire, au nom de la justice !

29 janvier 2013

La gratuité scolaire, au nom de la justice !

François Doyon

Lorsqu’on me demande mon « avis d’enseignant » sur le débat sur la hausse des frais de scolarité, je réponds que considérant mes origines sociales, je n’aurais jamais pu être en mesure d’avoir un « avis d’enseignant » sans le gel des frais de scolarité. Si j’avais eu à subir la hausse annoncée par le gouvernement, je n’aurais tout simplement jamais pu devenir enseignant.

J’enseigne à Saint-Jérôme, l’une des villes les plus défavorisées du Québec. Au cours des cinq dernières années, j’y ai connu un grand nombre d’étudiants brillants qui m’ont dit qu’ils n’iront pas à l’université parce que ça va coûter trop cher pour eux. Et je ne parle pas d’étudiants qui ont un iPhone ou qui boivent trop de bière, je parle d’étudiants qui n’ont pas toujours assez d’argent pour manger avant de se présenter à un examen. On me dit qu’ils n’ont qu’à faire appel au programme de prêts et bourses. Soit, mais que peuvent faire ceux dont les parents sont trop riches pour que leurs enfants puissent bénéficier de ce programme, mais qui refusent d’aider financièrement leurs enfants ? Le problème est bien réel, car ils ne sont pas peu nombreux dans cette situation. Et c’est sans parler de tous les jeunes qui se font carrément mettre à la porte par leurs parents dès qu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans. Cela arrive toujours trop souvent. Ces jeunes-là ne méritent pas d’être oubliés. Pour éviter ces injustices, il faudrait donner des bourses à tous les étudiants, peu importe leur origine sociale, ou, encore mieux me semble-t-il, réduire les frais de scolarité. Que doit faire un jeune qui vient d’une famille riche qui le met à la porte ou qui refuse de l’aider financièrement ? L’actuel programme de prêts et bourses ne pourra rien faire pour eux. Je pense que l’État a la responsabilité de venir en aide aux enfants de parents indignes. Des parents indignes, il risque toujours d’y en avoir et ce n’est pas à leurs enfants d’en subir les conséquences. On ne choisit malheureusement pas ses parents, mais la société peut choisir d’aider tous les jeunes sans exception.

Qu’on cesse donc de me dire que la hausse des frais de scolarité est compensée par le programme de prêts et bourses ! Les critères d’admissibilité à ce programme créent de nombreux laissés-pour-compte. Il y a des jeunes qui vivent dans la rue et qui n’ont pas droit aux prêts et bourses.

On va sans doute me rétorquer qu’il ne s’agit que de malheureuses exceptions et qu’on ne peut rien y faire. Une société juste ne saurait tolérer de telles exceptions. Ces exceptions apparaissent intolérables dès que l’on prend la peine de réfléchir à ce que devrait être une société juste. Imaginez juste un instant, comme le propose le philosophe étatsunien John Rawls, que vous êtes sous une sorte de voile d’ignorance qui vous empêche de connaître votre classe sociale. Ce qui veut dire que vous êtes peut-être un jeune homosexuel de dix-huit ans qui vient de se faire mettre à la rue par ses parents homophobes qui refusent de l’abriter plus longtemps sous leur toit. C’est peu probable, mais tout à fait possible. Supposons que vous réussissiez de peine et de misère à terminer votre cégep, ce qui risque déjà d’être très difficile, aurez-vous vraiment les moyens d’aller à l’université sans la contribution financière de vos parents ? Vous risquez fort probablement de ne jamais aller à l’université. Si l’on essaie maintenant d’imaginer une société qui pourrait apparaître aussi juste pour le plus défavorisé que pour le plus privilégié de cette société, comment ne pas conclure que tous devraient pouvoir jouir de chances égales de réussir dans la vie ? Pouvoir accéder à l’éducation est une condition nécessaire à l’égalisation des chances.

La demande des étudiants est donc loin d’être exagérée. En demandant le maintien du gel des frais de scolarité, on ne fait que demander au gouvernement de ne pas aggraver une injustice déjà existante.

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