IdAction mobile

No 46 - oct. / nov. 2012

IdAction mobile

La médiation intellectuelle et culturelle au service des jeunes autochtones itinérants de Montréal

Ève Lamoureux

Le 10 juillet dernier, j’ai eu la chance d’accompagner, le temps d’une soirée, un projet pilote surprenant et très intéressant d’Exeko : IdAction mobile. À bord d’une camionnette, nous avons sillonné les rues du centre-ville de Montréal à la recherche des lieux refuges des jeunes autochtones itinérantEs.

Notre but : faire de la médiation souple et modulable au moyen de livres et de revues bilingues à prêter (philosophie, sociologie, actualité politique, psychologie, romans, etc.), de tablettes à dessin et de crayons, d’un ordinateur pouvant diffuser des extraits de films ou de documentaires, d’appareils photo avec une imprimante portative, d’un « kit intellectuel » à donner comportant un carnet de notes et un crayon, de l’instrument de musique du médiateur. Nous accompagnions, du moins au début de la soirée, la caravane du Centre d’amitié autochtone, KA’WÀHSE (« où vas-tu » en mohawk), responsable depuis des années de la distribution de nourriture et d’un soutien médical et psychosocial. Je m’ajoutais à l’équipe courante, soit un médiateur et un bénévole. La richesse de certaines discussions nous a amenés à rester plus longtemps dans un parc et dans un refuge pour personnes itinérantes autochtones, alors que la caravane KA’WÀHSE a fait son parcours usuel, comprenant entre cinq et sept lieux. Résultat des courses : nous avons rencontré plus d’une dizaine de personnes, dont certaines assez intriguées pour choisir un livre ou un « kit intellectuel ». Comme nous avions hérité de la soupe fournie par le Centre d’amitié autochtone, nous avions un prétexte pour entrer en contact. Cela dit, quelques habituéEs se sont directement dirigés vers notre véhicule, empruntant volontiers les tablettes à dessin et les crayons, le temps d’aller créer leurs œuvres dans le parc voisin. En l’espace de trois heures, nous avons vécu quatre moments privilégiés de discussion au sujet de la lecture d’un livre prêté la semaine précédente, de la confection de dessins, du cinéma et de la musique et des chants autochtones ; le tout accompagné de confidences sur certaines expériences personnelles.

Un projet pilote entrelaçant éducation, médiation et engagement communautaire

La soirée s’est avérée définitivement riche. J’ai pu constater de visu que la camionnette d’Exeko et ses médiateurs commençaient à réellement s’intégrer dans le paysage et avaient gagné la confiance de certaines personnes. La stratégie d’insertion employée est donc efficace. Ce projet pilote de deux ans comprend une phase d’implantation progressive de six mois. Au moment de mon passage, seuls trois mois s’étaient écoulés, période pendant laquelle les médiateurs culturels se sont d’abord joints à la caravane KA’WÀHSE, puis ont suivi celle-ci à bord d’une camionnette vide, remplie très progressivement et décorée des logos de l’organisme. Plusieurs choses restent encore à intégrer : une table et des chaises, un petit écran de projection, un poste internet, des services postaux pour favoriser les liens avec les familles vivant dans les communautés d’origines, la venue de divers intervenants ponctuels (des artistes, par exemple), etc. Les deux caravanes sont en action quatre jours par semaine. Le mercredi soir, le Centre d’amitié autochtone propose des soirées culturelles dans ses locaux. Les médiateurs d’Exeko animeront certaines d’entre elles.

IdAction mobile [1] propose donc un mélange peu usuel d’éducation (« pédagogie ouverte » [2]), de médiation (entendue dans son double sens de démocratisation et de démocratie culturelles) et d’engagement communautaire. Il se situe au cœur de l’expertise spécifique d’Exeko, un organisme sans but lucratif dont la mission est de « favoriser, par la culture et l’éducation, l’inclusion et le développement des populations les plus marginalisées  » [3]. Il utilise, entre autres, la performance, le théâtre invisible, le détournement et la rumeur. L’organisme détient une solide expérience d’intervention/action auprès et avec de jeunes autochtones (en communauté, en famille d’accueil, en situation d’itinérance), de jeunes criminaliséEs (entre autres dans des milieux carcéraux), de jeunes décrocheurs et décrocheuses sur les plateaux de réinsertion, de personnes souffrant de déficience intellectuelle, etc. Il place au cœur de sa stratégie la création de partenariats novateurs visant à créer des ponts entre les différents milieux, notamment culturels, communautaires et d’intervention sociale. Gageons qu’IdAction mobile aurait eu beaucoup plus de difficultés à s’implanter sans le travail collaboratif étroit avec le Centre d’amitié autochtone de Montréal et aurait, sans doute, bénéficié d’une moins grande légitimité. En outre, le projet implique d’autres alliances (dont certaines ne sont pas encore mises en œuvres) avec, entre autres, la Wapikoni mobile [4] afin de diffuser les films réalisés par de jeunes autochtones, le Centre Turbine qui prête des équipements vidéo et sonore, et l’Institut du nouveau monde qui fournit un accès privilégié à sa plateforme Parole citoyenne.

Les visées d’IdAction

IdAction mobile est une des ramifications que prend le programme IdAction, implanté dans des milieux variés. Le but est de lutter contre l’exclusion sociale en s’attaquant à ce qu’Exeko considère comme sa source : « le sentiment de ne pas avoir la possibilité de s’inclure socialement et celui d’être cloîtré dans l’ignorance ». Trois axes sont explorés, soit l’esprit critique, l’analyse sociale et l’action citoyenne. IdAction engendre un travail sur la fierté personnelle, l’autonomie, l’espoir en l’avenir, la prise de conscience du rôle social de chacune des personnes et le « potentiel de l’action solidaire ». Il vise à créer des lieux d’échanges, d’apprentissage et de création en commun ; un « espace de prise de position citoyenne et de diffusion de parole citoyenne  ». Je reconnais ici un désir partagé par plusieurs artistes engagés dans des projets de médiation culturelle ou d’arts communautaires. Ces derniers souhaitent, au moyen d’un travail créatif collaboratif, contribuer à l’empowerment de personnes vivant des situations sociales d’exclusion et de marginalisation. Certains combattent aussi, simultanément, les causes de la souffrance sociale engendrée par les différentes formes de domination. L’agir en commun, l’ouverture d’espaces de discussions et de réflexions exempts de jugements, la création artistique, l’instauration de rapports les plus égalitaires possible contribuent à mener à bien des processus de subjectivation (qui peuvent devenir politique) afin que ces individus (re)deviennent sujets/acteurs de leur vie et de celle de leur collectivité.

Vers une citoyenneté réelle

Dans le cadre spécifique d’IdAction mobile, les participantEs souffrent d’une double exclusion sociale : en tant qu’itinérantEs et en tant qu’autochtones. En complémentarité des ressources alimentaires, médicales, psychosociales déjà existantes – et sans lesquelles un tel projet ne pourrait pas avoir de sens –, Exeko entend contribuer à une « sortie de la contingence et de l’immédiateté », favoriser une inclusion et une participation à l’« environnement social ». Il s’agit donc de fournir du matériel intellectuel et artistique ; d’expérimenter et de cocréer des méthodes et des stratégies favorisant l’emploi de l’esprit critique et son développement ; d’ouvrir des espaces de dialogue. Les questions au cœur du projet sont celles de l’inclusion sociale, de l’identité collective et de la citoyenneté. « Donner aux jeunes autochtones marginalisés le pouvoir de se faire comprendre et entendre. » Le rôle du médiateur culturel est celui « d’interlocuteur/créateur de liens et de sens ». L’action envisagée est de nature concertée.

On quitte donc ici la relation d’aide pour une action plus proche de celle des groupes communautaires de défense de droits, avec leur riche tradition de pédagogie alternative et critique. Exeko, par contre, situe au cœur de ses stratégies la culture et l’art. Voilà une de ses spécificités, ce qui explique son originalité profonde, ce qui en fait un organisme culturel extrêmement riche et pertinent. Souhaitons donc la pérennisation d’initiatives telles IdAction mobile et l’évolution de cet espace ambulatoire en tant que lieu engagé d’activités intrinsèquement interdisciplinaires, entrelaçant l’action sociale, le cheminement intellectuel et l’art. Les artistes et les bénévoles intéressés par cette initiative sont d’ailleurs invités à contacter l’organisme.


[1Le projet est dirigé par les deux cofondateurs d’Exeko, Nadia Duguay et François-Xavier Michaux. Il comprend une coordonnatrice, Dorothée DeCollasson, et trois médiateurs : Youssef Shoufan, Jean-Philippe Lefebvre-Louis et Frédéric Péloquin (d’autres s’ajouteront dans les prochains mois). Il exige aussi la participation de plusieurs bénévoles et l’implication ponctuelle d’autres travailleurs et travailleuses de l’organisme.

[2Les citations de cet article proviennent du « Dossier de présentation IdAction », créé en septembre 2011, dont Exeko m’a fourni une copie.

[3Je ne peux que vous encourager à aller voir les différents programmes mis sur pied : http://exeko.org/.

[4Voir le site de cet autre très beau projet : http://wapikoni.tv/.

Thèmes de recherche Arts et culture, Nations autochtones
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