Dossier : Le sport en ville - (...)

Dossier : Le sport en ville - une appropriation citoyenne

Un stade démontable...permanent ?

Jeux Olympiques de Londres

Tim Abrahams

Le stade olympique de Londres comptera 80 000 places. Afin d’en assurer la pérennité, on a pensé à édifier une structure démontable permettant de réduire l’ensemble à 25 000 places, en faisant du coup une infrastructure moins coûteuse à gérer, et s’intégrant davantage dans l’East End de Londres, fortement défavorisé, en lui fournissant des installations sportives de proximité. Mais c’était sans compter sur les intérêts du sport professionnel…

En 2008, Lord Coe, porteur de la candidature de Londres pour l’obtention des Jeux olympiques, déclarait : « nous ne sommes pas dans le business de construction des stades de foot ». Aujourd’hui, l’organisation publique mise en place pour développer le Parc olympique après les jeux de 2012 a pourtant accepté la proposition d’un club de foot (West Ham) pour occuper et gérer le stade après les jeux alors qu’il était plutôt censé rester voué au sport amateur. Qui dit équipe professionnel dit besoin d’assistance élevée. Alors plutôt que de démonter les 80 000 sièges pour n’en conserver que 25 000 et en faire un stade d’athlétisme uniquement, comme Lord Coe le laissait entendre au Comité international olympique, le stade sera réaménagé en un espace de 60 000 sièges contenant une piste de course et un terrain de soccer permanent. Cela coûtera 95 millions de livres, dont 35 millions de deniers publics, et 40 millions de prêts venant du Council de Newham.

Ce que Lord Coe aurait dû dire, c’est qu’il ne donne pas dans le business de construction des bons stades de foot. Édifié sur un site étroit situé sur une sinuosité de la rivière Lea, le stade offre des installations minimales. Tel un simple bol ceinturant une surface de jeu, il n’aura pas de restaurants, pas de loges et très peu de structures d’accueil. Durant les jeux, ces éléments seront localisés dans des structures distinctes et temporaires à l’approche du site. Le stade n’aura pas de toit et devra obligatoirement conserver une piste d’athlétisme dont, en dehors du contexte olympique, rien n’assurera la rentabilité.

Est-ce que l’Olympic Delivery Agency, l’agence responsable de l’organisation et de la tenue des jeux, aurait pu créer un stade qui utilise des gradins amovibles, quelque chose rappelant le Stade de France à Paris ? Oui, il aurait pu. En fait, lorsque Spurs et West Ham (deux équipes de foot) ont été consultées au sujet du stade, en 2006, cette idée fut évoquée. Mais l’institution a choisi de ne pas l’adopter parce qu’on croyait qu’East End de Londres aurait bientôt son centre d’athlétisme permanent dans ce nouveau stade ramené à une taille plus modeste ; pas besoin donc de faire des grands projets pour des équipes professionnelles pensait-on.

Entre les impératifs d’une équipe professionnelle et la symbolique olympique

Pour comprendre pourquoi l’engagement de garder la piste d’athlétisme fut pris, il faut savoir que le CIO est une instance éloignée et bureaucratique qui force les villes soumissionnaires à justifier jusqu’à leur propre existence à travers le processus de sélection des villes-hôtes. Lord Coe a eu beaucoup de succès dans ce processus. En amenant 30 enfants d’East End parmi la délégation londonienne à Singapour en juillet 2005, et en rappelant comment les Olympiques de 1968 avaient servi d’inspiration à la candidature de la capitale britannique, Coe a créé une image puissante des jeux comme vecteur d’amélioration morale et d’éducation. Cela a plu au CIO, autrefois dirigé par un ensemble d’amateurs, mais aujourd’hui disposant d’un budget de fonctionnement de 83$M US (2006) et comptant plus de 400 employés (2008). En somme, les jeux ont été concédés à Londres parce que Londres a su rappeler au CIO ses propres idéaux. La promesse d’un stade modeste à vocation purement amateur dans un quartier modeste avait tout pour plaire.

Cependant, une fois le stade de 80 000 places construit, cet idéal a été mis de côté. Qui absorberait le coût impliqué dans l’opération de démontage du stade ? Qui paierait pour l’entretien et les multiples opérations quotidiennes, une fois le stade réduit à cet hypothétique 25 000 places ? La demeure des UK Athletics, le Cristal Palace, n’était-il pas devenu un fardeau pour l’Agence de développement de Londres ? Le nouveau stade en serait-il un de plus ? Pendant ce temps, les clubs de football professionnels jetaient des regards alléchés sur le nouveau stade. Même Spurs, qui avait pourtant entamé des procédures pour un nouveau stade à 10 km de là, était tenté. Au moment d’écrire ces lignes, il semble que le Club de West Ham ait pris les devants, car il a promis de conserver la piste d’athlétisme autour du terrain, une aberration pour les fans de soccer, un atout cependant pour les autorités olympiques qui y voient une préservation du legs des jeux.

En termes de design, cela aura une allure plutôt folle : un édifice dont la structure et l’apparence évoquent un immense kit meccano, sensé être temporaire, devenu maintenant permanent tout en changeant de fonction, passant de modeste stade d’athlétisme à une vocation plus locale (25 000 sièges c’est un peu plus que le stade de l’Impact de Montréal) à stade pour équipe professionnelle à vocation plus régionale. Cela fait penser à une répétition, moins réussie, d’ ?uvres comme Archigram qui, dans les années 1960, proposaient une architecture de l’adaptation : des superstructures dans lesquelles des édifices entiers pouvaient s’imbriquer, joignant ainsi d’une façon dynamique l’architecture et le social. On a plutôt ici une tentative de réconciliation des paradoxes de l’athlétisme : favoriser, en préservant sa piste, un sport que l’Olympic Park Leagacy Company décrit elle-même comme un sport “d’élite”, mais dans un stade qui aura perdu toute la « modestie » qu’on recherchait à l’origine.
Ce symbolisme n’est cependant rien aux yeux des fans en comparaison de l’effet qu’aura la piste d’athlétisme ceinturant le terrain de foot du stade de Stratford, car elle mettra ainsi plus de distance entre les spectateurs et leur équipe. Le CIO, une institution qui dialogue avec le monde entier à travers le symbolisme, sera certainement heureux quand le cercle de caoutchouc recouvert de polyuréthane encerclera la première partie de West Ham sur ce terrain. Les fans, eux, maudiront cet anneau jusqu’à ce que leur équipe déménage ou jusqu’à ce qu’elle revienne sur sa promesse de maintenir la piste d’athlétisme. D’ici là, ils pourront se consoler en sachant que Lord Coe a fait assez pour sauvegarder sa conscience, de même que sa place comme vice-président de l’Association Internationale des fédérations d’athlétisme…

Traduction et adaptation de Pierre-Mathieu Le Bel

Thèmes de recherche Europe, Démocratie et espace public
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