Dossier : Santé - État d’urgence

Dossier : Santé - État d’urgence

Condition Critique !

Magaly Pirotte

« Nous sommes des travailleurs et travailleuses du secteur de la santé qui ressentons l’urgence de nous unir pour freiner la dégradation de nos conditions. Force est de constater que les pratiques syndicales de notre époque ne suffisent plus à cette tâche ; les dernières négociations nous l’ont démontré. Toutefois, se contenter de critiquer les syndicats, soutenir que ce n’est pas à nous de nous défendre ou sombrer dans le cynisme ne changera ni nos syndicats ni nos conditions. Voici donc notre proposition : nous, travailleurs et travailleuses, devons dès maintenant nous rassembler, briser le cloisonnement qui existe entre métiers et syndicats et nous impliquer ensemble dans nos milieux de travail.  »

C’est en octobre 2011 qu’a paru le premier numéro de Condition Critique, le journal du Comité STAT [1]. Produit entièrement de façon autonome par des travailleurs et travailleuses de la santé et remarquablement illustré, ce journal propose une analyse critique mordante, de l’intérieur, des coupes et de la réorganisation du travail dans le milieu de la santé, de leurs impacts sur le personnel et les usagers et usagères et du rôle des syndicats. Ne se contentant pas de décrier l’absence de vie politique en milieu de travail, le Comité STAT s’est attaqué au problème en distribuant 5 000 exemplaires de Condition Critique directement dans des hôpitaux, CLSC et CHSLD de Montréal, Québec, Trois-Rivières, Drum­mond­ville, Gatineau, Laval et Saint-Hyacinthe.

Au fil des pages, les employées du réseau de la santé décrivent leurs conditions de travail et la violence vécue dans un contexte de pénurie et de coupes budgétaires. Acculé, le personnel soignant fait les frais des décisions politiques et doit compenser les déficits structurels en travaillant plus, et ce, sans récriminer puisque les employées du réseau de la santé seraient, selon le ministre Bolduc, des « gens de cœur [2] » . Toujours est-il que chez ces « gens de cœur », détresse psychologique, sentiment de culpabilité, burn-out, perturbations au sein de l’équipe de travail, difficultés dans l’organisation de la vie familiale et erreurs médicales se multiplient et la situation est intenable.

La pression exercée sur les travailleurs et travailleuses de la santé n’a pas que des impacts sur les individus, elle affecte aussi la qualité et l’humanité des soins et la solidarité dans les milieux de travail : « de la délation au dénigrement de nos collègues, tous les coups bas sont permis. On finit par détester ceux et celles qui callent malades parce qu’ils ne sont pas remplacés, on crie au scandale au moindre manquement puisque ça nous retarde ; on se méfie de ceux qui sont en travaux légers sous prétexte qu’ils mentent... Bref, personne n’a droit à l’erreur dans ce système déshumanisé par les impératifs de productivité. »

« Les centrales sont là pour nous, mais non plus avec nous »

À cet état de fait s’ajoute une critique radicale des syndicats qui passeraient plus de temps dans leurs bureaux plutôt que sur le plancher et en qui les travailleurs et travailleuses n’ont plus aucune confiance. « Si nous voulons en finir avec notre misère, nous devons être capables de nous indigner à la fois contre ceux qui dirigent et ceux qui prétendent nous représenter, tout comme nous devons faire preuve continuellement d’autocritique. » Le comité STAT est formel quant à la nécessité d’une réflexion sur le syndicalisme. « À une Régine Laurent qui affirme que la tenue d’états généraux sur le syndicalisme pourrait être interprétée comme un échec du mouvement syndical, nous répondons qu’une telle réflexion serait au contraire la condition minimum de son dépassement. Nous exigeons une autopsie du syndicalisme au lieu de son empaillement. [3] »

Que propose STAT ?

« Au lieu de sombrer dans la déprime ou d’en vouloir à nos collègues, apprenons plutôt à développer une réelle solidarité entre nous. La violence et la frustration qui nous rongent doivent être redirigées contre leurs véritables responsables. C’est en se parlant à la job, en initiant des comités de mobilisation démocratiques gérés par les travailleurs et travailleuses, et par notre contestation sur le terrain que nous saurons nous imposer. » Signer de tels textes et les diffuser au sein même du système violemment critiqué comporte des risques. Les auteurEs ont encore en mémoire les mesures disciplinaires prises dans la dernière année contre des employées qui dénonçaient les coupes au CSSS Jeanne-Mance. Leur initiative est courageuse et appelle à la solidarité…


[1STAT, du latin statim : immédiatement. Ce comité est composé de travailleurs et travailleuses critiques et solidaires du secteur de la santé qui ressentent l’urgence de s’impliquer et de s’unir pour freiner la dégradation de leurs conditions. Le STAT s’adresse à tous et toutes : préposés, auxiliaires, infirmières, secrétaires médicales, inhalothérapeutes, techniciens de laboratoire, ambulanciers, entretien ménager, etc. (www.comitestat.org)

[2Le ministre Bolduc déclarait en effet dernièrement que malgré les « [...] 10 % et 15 % de pénurie, quel que soit le secteur, la main-d’œuvre qui est là est capable de compenser. C’est un réseau où les gens sont des gens de cœur.  »

[3l’aut’journal, mai 2011.

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