Dossier : Les classes dominantes au

Dossier : Les classes dominantes au Québec

Les barons du cochon

L’intégration comme « symptôme » de l’agriculture globalisée

Jean-Luc Cécyre

Le paysage agroalimentaire québécois est l’objet d’une concentration inquiétante et croissante de la propriété des fermes et des entreprises de transformation, notamment la production porcine dont les principaux acteurs concentrent une part importante de la production et d’imposants moyens de mise en marché. Le secteur porcin ayant fait l’objet d’une croissance accélérée et controversée au cours des 15 dernières années, il est essentiel de se questionner sur son avenir dans le cadre de la récente réforme de l’Assurance Stabilisation des Revenus Agricoles (ASRA). Cette réforme, à défaut de nuire aux intégrateurs, risque plutôt de renforcer leur emprise sur nos campagnes.

Les intégrateurs sont de gros producteurs qui font garder des animaux qui leur appartiennent chez de plus petits producteurs. Ces derniers sont rémunérés en fonction du gain de poids des animaux qui leur ont été confiés. L’intégrateur, en plus de fournir les animaux, livre les rations, les médicaments et assure un encadrement technique. Le producteur intégré, de son côté, fournit les bâtiments et sa force de travail. Les producteurs intégrés forment un nouveau prolétariat rural, ces fermiers deviennent des salariés sur leurs propres terres (souvent trop petites pour leur permettre d’y subsister autrement). Pour plusieurs d’entre eux, c’est un moindre mal à devoir travailler en ville, pour certains c’est la seule façon de pouvoir conserver leur terre et pour d’autres, c’est un moyen de démarrer en agriculture. Il est d’ailleurs plus facile d’emprunter pour acheter une ferme quand on a un contrat avec un intégrateur. L’intégration est la forme aggravée d’une tendance lourde en agriculture où la majorité des profits se réalisent en amont et en aval de la ferme. L’encadré ci-bas présente deux cas majeurs d’intégration dans le secteur porcin.

L’intégration porcine

Bien établie dans les années 1970, l’industrie porcine connaît son heure de gloire en 1998 sous l’impulsion de Laurent Pellerin, de l’UPA, et de Lucien Bouchard, qui est alors premier ministre et qui rêve de voir le Québec doubler ses exportations agricoles. Alors que que la production augmente, passant d’environ 5 millions à 8 millions de porcs par an, les prix à l’exportation s’effondrent et tombent en dessous des coûts de production. Alors que toute l’industrie porcine dépend de l’ASRA pour survivre, les intégrateurs ne se gênent pas pour encaisser leur part qui est d’autant importante qu’il n’y a plus de plafond aux sommes versées. Ainsi l’ASRA, qui était au départ destinée à assurer la survie des fermes familiales, a permis d’assurer la croissance et la diversification de quelques grandes entreprises. Évitant de mettre tous leurs œufs dans le même panier, les intégrateurs se sont aussi diversifiés dans des productions protégées par des quotas, comme le lait et les œufs.

De 1993 à 2009, les périodes successives de croissance, de chutes de prix et de maladie font passer le nombre de fermes porcines de 2 600 à 1 400. Pour combler le déficit de l’ASRA, qui s’élève à un milliard, le gouvernement vient de mettre en place une série de mesures qui touchent surtout les petits producteurs, la principale consiste à exclure du calcul des coûts de production les 25 % de producteurs les moins performants. Comme les sommes versées ne permettront pas à ces derniers de couvrir leurs frais, ils risquent d’être contraints de vendre leur ferme ou d’opter pour être intégrés. Pour certains, la planche de salut prend la forme d’une fuite en avant : croître, s’endetter, devenir intégrateur pour ne pas être soi-même intégré. Cette mesure d’exclusion des 25 % va aussi contribuer à augmenter le nombre de fermes qui dépendent d’un revenu extérieur pour survivre. Un cadre de la multinationale agroalimentaire ADM (Arthur Daniel Midland), interrogé par un journaliste qui lui demandait si leur but ultime était de mettre la main sur l’ensemble des terres, répondit candidement qu’un tel projet ne peut être avantageux « car les fermiers s’exploitent d’avantage que nous ne pourrions le faire ». Pour les intégrateurs bien établis, les producteurs intégrés sont une source intarissable de flexibilité et de profits.

Si l’intégration ne fait pas partie du modèle d’agriculture que nous voulons, elle est malgré tout inséparable de la société industrielle avancée où nous vivons. L’intégration n’est que le symptôme d’un mal bien plus grand qui ronge nos campagnes depuis des décennies, d’un mal que nous ne pouvons guérir avec des vœux pieux, d’un grand mal qui appelle de grands remèdes.

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