Retour forcé au travail

No 39 - avril / mai 2011

Travail

Retour forcé au travail

Procureurs de la Couronne et juristes de l’État

Léa Fontaine

En 2005, la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public mettait un terme à la négociation collective des conditions de travail des employés de l’État, après quatre années de discussions flottantes, voire d’absence de dialogue. Floués, les travailleurs du secteur public, dont les procureurs et les juristes de l’État – certes en négociation depuis peu à l’époque –, avaient contesté la validité de cette loi devant les tribunaux et les instances internationales. En 2007, le Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT) mettait le Canada à l’index pour manquement au droit de négocier collectivement les conditions de travail. Le Comité dénonçait « les interventions législatives imposant des conditions de travail, sans qu’il n’y ait eu de consultations franches et approfondies avec les parties impliquées  ». Le Comité «  espé[rait] fermement que les prochaines négociations se déroul[eraient] en conformité avec les principes  » internationaux relatifs à la négociation collective.

L’entêtement du gouvernement Charest

Février 2011, le gouvernement Charest met fin à la négociation collective des conditions de travail des procureurs et juristes de l’État, après quelques mois de pseudo discussions et seulement deux semaines de grève. En effet, en adoptant la Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et de certains organismes publics, il impose les conditions de travail – jusqu’en 2015 – dont une maigre hausse salariale de 6 % sur cinq ans, garantissant à coup sûr une érosion salariale. Les associations de travailleurs ont d’ores et déjà annoncé qu’elles exerceront tous les recours disponibles pour contester la validité de cette loi spéciale. Cette dernière semble en effet non conforme tant aux dispositions internationales du travail qu’aux dispositions constitutionnelles nationales.

Le Comité de la liberté syndicale (OIT) sera-t-il surpris de constater que le gouvernement s’est encore une fois montré irrespectueux du droit des travailleurs de négocier leurs conditions de travail  ? Pis, qu’il a adopté cette loi spéciale dans des circonstances très similaires à celles de 2005  ? L’examen de la loi de 2011 risque donc d’aboutir au même résultat que celui produit par la loi de 2005, soit le constat de la violation des principes du droit international du travail. De surcroît, en regard du droit national et plus précisément de la décision Health Services and Support de la Cour suprême du Canada (2007) consacrant le caractère constitutionnel du droit de négocier collectivement, il est fort prévisible que la loi spéciale de 2011 sera déclarée inconstitutionnelle.

La loi spéciale votée par le gouvernement vise à assurer un objectif déjà prévu par la législation actuelle. En effet, selon les notes explicatives, la loi spéciale veut assurer la continuité des services publics. Or, la législation actuelle la garantit déjà en prévoyant le maintien des services essentiels en cas de grève, maintien d’ailleurs validé par le Conseil du même nom au cours des derniers mois. Dès lors, quelle est la raison d’être d’une loi spéciale destinée à contrecarrer une loi générale dont l’objectif est le même ? Considérant ce point, qu’en est-il de la prétendue urgence à intervenir par une loi spéciale pour assurer une continuité de service, déjà garantie par la loi générale ? En troisième lieu, et selon les termes mêmes du Code du travail, les parties, et notamment l’État, ont-elles négocié de bonne foi  ? La lecture des évènements sème allègrement le doute au sujet de la bonne foi de l’employeur, dans la mesure où les occasions de négocier semblent avoir été rarissimes. Enfin, la loi spéciale brime de manière absolue, et à l’encontre du bon sens, le droit de négocier collectivement les conditions de travail, ainsi que son corollaire, le droit de grève – bien que sa valeur constitutionnelle ne soit pas encore reconnue par la Cour suprême du Canada –, sans prévoir de mécanisme de substitution comme l’exigent les principes de base des relations collectives du travail.

Quel respect des services publics  ?

Au-delà de la négation du droit constitutionnel de négocier collectivement les conditions de travail et du mépris de l’exercice du droit de grève, le comportement du gouvernement Charest à l’égard des travailleurs des services publics inquiète. Ce manque de considération conduit à s’interroger sur la place occupée par les services publics dans notre société. Un service public est un service que l’État juge si important pour l’intérêt général qu’il le protège en assurant son caractère public et en le protégeant de la concurrence privée. Après l’expérience difficile du Front commun, la résistance honorable de la FIQ ou encore la lutte des procureurs et des juristes de l’État, la valeur des services au bénéfice de l’intérêt général de l’ensemble de nos concitoyens – et non de «  clients  » – semble plus que jamais compromise, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou encore de la justice. Aujourd’hui, plus qu’hier, il est temps de nous dresser pour défendre les services publics et leurs travailleurs.

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