La Marche mondiale des femmes

No 37 - déc. 2010 / jan. 2011

La Marche mondiale des femmes

Comment le gouvernement du Québec a été forcé de dévoiler son jeu

Charlotte Dussault

La Marche mondiale des femmes (MMF) est un mouvement né dans la foulée de la Marche du pain et des roses organisée par la Fédération des femmes du Québec en 1995. C’est un mouvement international de féministes de plus de 60 pays qui luttent contre la pauvreté et la violence envers les femmes. La troisième action internationale de la Marche se tenait cette année. Quel bilan peut-on en proposer ?

Puisque la MMF est un mouvement international, c’est au niveau mondial que les champs d’action et de lutte sont déterminés. En 2010, les femmes du monde entier défendaient l’autonomie économique des femmes, le bien commun et l’accès aux ressources, la non-violence envers les femmes et la paix et la démilitarisation. Au Québec, nous avons choisi d’ajouter à ces champs d’action les droits des femmes autochtones, et ce, en solidarité avec le groupe Femmes autochtones du Québec.

Féminisme ou affaires de femmes ?

Avant même le début de la Marche, on nous a accusées de tirer dans tous les sens et, surtout, de ne pas se préoccuper d’affaires de femmes. Ces accusations démontrent qu’encore aujourd’hui on pense que les femmes devraient s’occuper de ce qui les regarde, comme la maternité et tout ce qui l’entoure : grossesse, avortement, enfants, garderies, éducation à la limite. Or, les femmes ne sont pas que des mères. Cette accusation reflète non seulement une attitude patriarcale, mais aussi l’anti-féminisme latent de notre société.

Outre le fait que les femmes ont le droit de militer pour la justice sociale et qu’elles ne devraient pas être tenues de ne se préoccuper que de sujets féminins, notons que toutes nos revendications touchaient les femmes, directement et indirectement. Par leurs revendications et par leurs actions, les marcheuses ont contribué à ouvrir des débats de société incontournables sur le rôle du privé et de la tarification dans le système de santé, l’augmentation des frais de scolarité, les effets nocifs des publicités sexistes, la lutte à la pauvreté, la nécessité de revenir à des cours d’éducation sexuelle à l’école, le recrutement militaire et la guerre en Afghanistan, la défense du droit des femmes au libre choix en matière d’avortement et l’attitude méprisante du gouvernement canadien à propos de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Les réactions gouvernementales

Comment les gouvernements ont-ils réagi à nos demandes ? Du côté du gouvernement du Canada : Silence radio ! Par contre, notre capsule vidéo sur la militarisation a fait réagir l’armée canadienne et certaines mères de soldats morts en Afghanistan qui ont attaqué notre critique de cette guerre en affirmant, entre autres, qu’il était impensable que des femmes soient contre une guerre qui veut sauver d’autres femmes.

Malgré le silence du gouvernement canadien, nous avons marqué un point sur la question de la paix et de la démilitarisation, celui d’avoir fait sortir l’armée de ses gonds. Nous avons touché LA corde sensible : le recrutement ; d’autant plus que le Canada est actuellement dans sa plus intense période de recrutement depuis la Deuxième Guerre mondiale. En dénonçant l’embrigadement dans les écoles secondaires et parfois au primaire (!), nous avons entaché l’image de l’armée. Les « Forces » ont donc du se défendre de ne pas faire de recrutement, mais de seulement proposer de l’information sur l’armée.

Le gouvernement du Québec, dans sa réponse à notre demande, a affirmé qu’empêcher le recrutement dans les écoles va à l’encontre de la Loi sur la défense nationale qui prévoit une amende pour toute personne qui entrave le recrutement des Forces canadiennes. Cela veut donc dire que l’armée recrute effectivement dans les écoles ; ce qu’elle nie. Si elle ne recrute pas, le gouvernement québécois peut interdire la présence de l’armée dans nos écoles, puisque cela n’entrave pas le recrutement. C’est un des coups intéressants que nous avons réussi à porter, soit de dévoiler d’une part le mensonge de l’armée, et d’autre part les valeurs militaristes du gouvernement québécois, particulièrement portées par la ministre de la Condition féminine, Christine St-Pierre.

Une autre victoire, c’est d’avoir contraint la ministre St-Pierre à donner des réponses à la MMF au lendemain d’une occupation de son bureau à Montréal par 11 militantes de la MMF, et ce, après qu’elle ait déclaré publiquement qu’elle ne pouvait donner ni réponses rapides, ni réponses satisfaisantes à nos revendications. La ministre avait raison sur une chose, les réponses gouvernementales ne sont pas satisfaisantes (voir l’analyse des réponses au www.ffq.qc.ca /2010/10/3446), à l’exception peut-être de la mise sur pied d’un comité pour élaborer un plan visant le retour d’un programme d’éducation sexuelle à l’école.

Cependant, le gouvernement du Québec a tout de même dévoilé son jeu. Disant dans un article de La Presse du 11 octobre que certaines revendications nécessitent « un grand débat de société, [la] ministre ajoute que d’autres demandes, comme celle d’empêcher à tout prix la privatisation dans les services publics, ne sont pas dans la “ligne de pensée” du gouvernement […] ». Elle a ensuite affirmé, dans ses Réponses gouvernementales aux revendications de la Marche mondiale des femmes 2010, que la privatisation des services publics n’est que temporaire : « […] les besoins en santé de la population et la volonté gouvernementale d’accessibilité aux services obligent occasionnellement l’État à faire appel aux services privés et à prendre à sa charge les frais des services requis. En tout temps, ce recours aux services privés est considéré comme une solution ponctuelle […] ». Le gouvernement se contredit : il ne privatise pas vraiment les services publics et les programmes sociaux ou ne le fait que temporairement, mais cela fait partie par ailleurs de « sa ligne de pensée »…

Continuer le combat

Dans ce contexte hostile qui fragilise nos acquis et empêche nos avancées, les militantes de la Marche peuvent être fières d’avoir réussi à se mobiliser autant malgré la pression de la droite venant de partout. Pendant une semaine, ce sont plus de 500 actions regroupant des dizaines de milliers de femmes partout au Québec qui ont eu lieu. Et le 17 octobre, date du grand rassemblement à Rimouski, alors que l’on attendait 5 000 personnes, plus de 10 000 sont venues manifester leur appui aux revendications et aux valeurs de la Marche mondiale des femmes. Beau pied de nez à ceux et celles qui annonçaient la mort des luttes féministes !

La lutte contre le patriarcat et le capitalisme continue donc d’être très forte et rassembleuse. Ce n’est qu’un début, continuons le combat !

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