Dossier : Nos services publics, (…)

Nos services publics - Un trésor collectif en péril

Comment tuer efficacement l’éducation publique ?

Jacques Tondreau

Il y a de soi-disant remèdes qui s’avèrent à l’usage un véritable poison pour l’organisme. Le discours des tenants de la privatisation en éducation relève de cette médecine. Ils proposent une idéologie de la réussite qui mène à l’échec de l’éducation publique.

Tuer efficacement l’éducation publique ! Rien de plus simple. Il suffit de financer généreusement les écoles privées avec des fonds publics, de mettre en concurrence les écoles sur la base d’approches clientéliste et marketing, de laisser libre cours à la sélection scolaire et de favoriser l’intégration des élèves en difficulté scolaire ou de comportement dans la classe ordinaire sans leur fournir les services auxquels ils ont droit.

Avec cette dynamique scolaire, entretenue jusqu’à la prodigalité par les tenants de la privatisation de l’éducation, l’école publique finit par crouler sous le poids des responsabilités sociales, tout en s’enfonçant dans une spirale inégalitaire, alors que les écoles privées gagnent du terrain partout au Québec.

Le privé ne se prive pas, il fait des gains allégrement

Et il y a des raisons de s’inquiéter. La place qu’occupent les écoles privées au Québec n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Alors que le réseau public perdait 76 551 élèves, soit 7,6 % de l’effectif, le réseau privé en gagnait 13 361, une augmentation de 12 %.

Le pouvoir d’attraction des écoles privées est soigneusement entretenu par l’Institut économique de Montréal (IEDM), ce groupement en faveur de la privatisation des services publics. Avec le concours du magazine L’Actualité, l’IEDM publie à chaque année un palmarès qui classe les écoles secondaires publiques et privées selon les résultats des élèves aux examens du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. D’autres critères sont utilisés (proportion d’élèves handicapés, en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage dans l’école, indice de faible revenu et scolarité de la mère), mais ils agissent uniquement comme filtres du critère de classement principal.

Année après année, les écoles privées tiennent le haut du pavé. Largement rendu public, ce classement des écoles secondaires laisse comme message aux parents qu’il y a de bonnes et de mauvaises écoles. En fait, le palmarès ne nous dit pas quelles sont les bonnes écoles, mais plutôt où se trouvent les bons élèves.

De nombreuses critiques ont été adressées à ce palmarès. Les écoles privées sélectionnant le plus souvent leurs élèves sur la base de leur performance scolaire, il va de soi qu’elles se retrouvent dans le haut du classement. D’ailleurs, les écoles publiques sélectives se hissent elles aussi dans le peloton de tête. Ces critiques ont été d’autant plus sévères que les écoles privées, largement financées par des fonds publics, sont une option profitant le plus souvent aux familles aisées. Par exemple, en 2005, dans certains quartiers plus nantis de Montréal, les élèves qui terminent leur scolarité primaire migrent vers le privé dans des proportions importantes : Notre-Dame-de-Grâce (47 %) ; Westmount-Côte-desNeiges (46 %) ; Ahuntsic-Cartierville (45 %) ; Plateau Mont-Royal (26 %). Cela laisse une forte impression d’injustice sociale [1].

Boire la coupe jusqu’à la lie

Le pouvoir d’attraction des écoles privées a obligé les commissions scolaires à réagir en développant des écoles à vocation particulière ou des projets pédagogiques sélectifs afin de retenir leurs bons élèves. Dernièrement, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) annonçait son intention d’ouvrir de nouvelles écoles internationales pour contrer l’exode de ses bons élèves vers les écoles privées.

Des écoles publiques voient ainsi leurs meilleurs éléments quitter pour d’autres écoles privées ou publiques ayant une meilleure réputation. Le choix de l’école aidant, ce sont les écoles en milieux défavorisés qui en souffrent le plus. Ces écoles finissent ainsi par concentrer une forte proportion d’élèves qui éprouvent des difficultés de comportement ou d’apprentissage. Elles connaissent des problèmes importants de violence et de décrochage et sont fuies par les gens du quartier qui ont les moyens de faire autrement.

On ne peut affirmer d’un côté que l’on veut la réussite éducative du plus grand nombre et de l’autre côté placer les élèves les moins privilégiés dans les conditions les plus désavantageuses. C’est pourtant ce que font les politiques éducatives au Québec. Pour s’engager véritablement dans le défi de la réussite éducative du plus grand nombre de jeunes au Québec, il est impératif de freiner la concurrence entre les établissements scolaires, notamment en éliminant le financement publique des écoles privées et en encadrant plus strictement les pratiques de sélection tant au secteur privé que public.

Tout cela commande du courage politique qui semble faire défaut au gouvernement en place présentement. À quand un ministère de l’Éducation qui prendra le parti des plus démunis et qui fera le pari de leur réussite éducative ?


[1Michèle Ouimet, « Abolissons les subventions aux écoles privées », La Presse, 12 février 2009.

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