Quand la révolution (re)viendra-t-elle en Égypte ?

13 octobre 2013

Quand la révolution (re)viendra-t-elle en Égypte ?

Gérald McKenzie

Début octobre 2013, les nouvelles d’Égypte sont très mauvaises. Encore récemment, des incidents violents opposant les forces de l’ordre et les partisans de Morsi ont fait près de 50 morts. La veille des policiers et des soldats ont été tués par des bombes. Le correspondant du New York Times parle d’une impasse : les Frères vont continuer de protester, l’Armée reste sur ses positions.

Le lendemain du démantèlement du camp des pro-Morsi se terminant par des tirs de balles vives de part et d’autres faisant des centaines de morts, partisans des Frères musulmans, civils, forces de l’ordre, Yasmine El Rashidi raconte et interprète les évènements dans le New York Review of Books.

Yasmine El Rashidi vit et travaille au Caire et est co-éditrice du magazine Bidoun, une publication qui traite des arts, de la littérature et de la vie en général loin des stéréotypes sur l’Arabie et en particulier sur le Moyen-Orient.

Son dernier article (elle en a écrit plusieurs depuis le début de la lutte contre Mubarak), The Misunderstood Agony (l’Agonie incomprise), décrit le contexte au Caire juste après l’éjection des Frères musulmans du pouvoir par l’Armée répondant, selon elle, au voeu des Égyptien.ne.s qui manifestaient par millions depuis quelques semaines, mouvement surnommé Tamarod, contre ce que El Rashidi appelait le « power grab » des Frères, qui trahissait leurs promesses électorales, en tentant de transformer radicalement l’Égypte en pays islamique total.

Septembre 2013, Morsi est en prison. Yasmine El Rashidi part de l’histoire de Karam que sa mère cherche suite à sa disparition. Elle le retrouvera mort, le corps brisé, méconnaissable. Les Frères musulmans et leurs supporteurs sèment la terreur dans plusieurs quartiers pendant les protestations (Tamarod) contre le régime de Morsi. Des centaines d’hommes, dont Karam, sont retrouvés, battus férocement, torturés à mort, et rejetés dans les jardins par les partisans des Frères.

Le Commandant en chef, Abdel Fattah El-Sissi, avait demandé à Morsi de trouver une solution à l’impasse politique et de répondre aux demandes du peuple. Près de 30 millions d’Égyptien.ne.s auraient participé aux manifestations contre Morsi et les Frères. Yasmine El Rashidi raconte que jamais dans sa vie elle avait vu une si grande mobilisation. Très vite, même ceux et celles qui avaient voté pour Morsi croyant voir en lui le dirigeant « soft-spoken », ingénieur éduqué aux Etats-Unis, se sont rendus compte que son Parti allait vers un monopole du pouvoir qui ressemblait de plus en plus à celui de Moubarak, mais en pire, plus répressif et de tendance fasciste. Selon Human Rights Watch Égyptien, la police d’État est bien vivante et frappe avec la bénédiction de Morsi. Il a choisi de s’allier aux forces policières plutôt qu’avec les forces révolutionnaires qui demandaient que la police rende des comptes et soit réformée.

On sait que la police de Moubarak cultivait un réseau élaboré de voyous (thugs) payés. Des documents coulés prouvent que près de 165 000 de ceux-ci figuraient sur la liste de paye du gouvernement. Ces mercenaires brutaux auraient aussi servi au régime de Morsi. Plusieurs vidéos que l’auteur a pu voir montrent des partisans des Frères brûler des autos de police et des islamistes tirer vers les policiers.

La journée de l’éviction du camp pro-morsi, la police s’apprêtait à faire sortir du lieu du sit-in des femmes et des enfants. L’Armée décide d’intervenir et tire à balles vives « pour répondre aux partisans des Frères qui ont commencé à tirer » selon les prétentions de l’Armée et selon le témoignage de plusieurs observateurs, il faut le dire.

Le Vice-Président El Baradei décide de démissionner de la Vice-présidence et de s’exiler pour protester contre la stratégie en question tout en condamnant les Frères musulmans. «  Le groupe qui a employé la religion comme bouclier et a séduit le public avec sa vision tordue de la religion, est venu au Pouvoir et y est demeuré pour 1 an. Ce fut une des pires années que l’Égypte a jamais traversé. »

Baraidei n’est pas seul à s’opposer à la stratégie de l’Armée ; une organisation égyptienne des droits humains qui condamnait Morsi avant le 30 juin déclarait : « Que des participants au sit-in des Frères musulmans et leurs dirigeants aient commis des actes criminels, possédaient des armes et aient commis des actes violents, ne donne pas à la Sécurité l’autorité d’imposer des punitions collectives et d’employer une force excessive pour disperser un sit-in, selon le droit international de s’assembler pacifiquement.  »

Morsi s’est refusé de prendre en considération tous les rapports lui étant présentés sur les exactions et les abus commis par des groupes près des Frères. Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR), une organisation indépendante, affirmait sur la base de ses observations que « les Frères musulmans établissent les fondations d’une nouvelle police d’État excédant de beaucoup les mécanismes établis par Moubarak pour écraser la société civile.  » Plusieurs observateurs ont noté que les prêcheurs proches des Frères appelaient les fidèles à s’attaquer aux Chrétiens et aux minorités. Des lynchings de Chiites ont eu lieu.

Yasmina El Rashidi conclut son article ainsi : « J’ai entendu plusieurs personnes bien informées affirmer que les Égyptiens n’accepteront plus un État qui monopolise le pouvoir et opprime les citoyens. Pour le moment, à première vue, il semblerait qu’il y a une relative sécurité – qui par contre est loin d’être assurée. Devant le choix entre des militants armés et des hommes armés en uniforme, les Égyptiens, dans une très large majorité, choisissent ceux-ci. C’est pourtant ces mêmes forces de l’État qui sont les responsables du mécontentement qui a conduit au renversement de Mubarak ; plusieurs de ces forces sont demeurées intactes depuis son règne. Le vrai coup en Égypte fut celui du 11 février, 2011, quand Mubarak a quitté son poste, et on se demande : quand la révolution viendrait-elle ? »

La lecture des deux articles de Yasmina El Rashidi du NYRB (The Misunderstood Agony et The Rule of the Brotherhood) préparent bien au débat que À babord ! organise lors du lancement du numéro 51 en collaboration avec Les amis du Monde diplomatique.

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