La véritable guerre des vaccins

17 février 2021

Covid 19

La véritable guerre des vaccins

Claude Vaillancourt

Alors que le confinement n’en finit plus, plusieurs se demandent si nous sortirons un jour de cette pandémie qui ne cesse de s’étirer et dont on annonce la prolongation par de nouveaux variants, plus terribles encore que la souche originelle. Pourtant la création de vaccins à une vitesse record a donné un certain espoir. Mais celui a rapidement été réduit par la lenteur avec laquelle on les transmet à la population.

Autant ces vaccins ont été de véritables miracles technologiques, autant leur distribution demeure grandement problématique : lenteur inespérée de la vaccination, incapacité de produire le vaccin à une échelle suffisante, inégalité de distribution entre pays pauvres et pays riches. Là où la science a répondu de façon spectaculaire à une demande exigeante, notre système économique semble quant à lui avoir échoué une fois de plus à bien protéger les populations.

Ces problèmes découlent en grande partie de la vision mercantile de la santé adoptée depuis plusieurs années, surtout dans la conception et la mise en marché des médicaments. Les droits de propriété intellectuelle ont permis de protéger les produits des plus grandes compagnies pharmaceutiques. Ils ont été au cœur des négociations des accords de libre-échange. L’objectif était toujours de les raffermir et de les prolonger, pour hausser au maximum les profits qui en résultent, quitte à rende les médicaments peu accessibles, même aux personnes qui en ont le plus grandement besoin. Aucune préoccupation de protéger la collectivité n’a marqué ces négociations, malgré les nombreux signaux envoyés par les représentants de groupes humanitaires, scandalisés devant une pareille cupidité.

Dès le début de la pandémie, un vaccin contre la Covid-19 était considéré comme une poule aux œufs d’or pour de nombreux spéculateurs. En avril dernier, après un écroulement attendu des marchés financiers conséquent du confinement et du ralentissement spectaculaire de l’économie qui en a découlé, ceux-ci on repris de la vigueur de façon surprenante. Une des raisons importantes de cette hausse inattendue : l’espoir qu’un vaccin bientôt découvert puisse rapporter des fortunes aux investisseurs.

La mise en marché des vaccins a très bien correspondu à leurs attentes. Les deux compagnies gagnantes ont été Pfizer, une des plus grandes au monde, toutes catégories confondues, avec des revenues de 47,644 milliards de dollars pour l’année 2020, et Moderna, plus modeste, plus récente, plus spécialisée, mais dont l’immense succès de sa trouvaille lui permettra de jouer dans la cour des grands. Pendant que ces compagnies encaissent des profits faramineux, nos gouvernements dépendent d’elles, de ce qu’elles livrent au compte-goutte, pour fournir un bien essentiel à la population.

Il aurait pourtant pu en être bien autrement. Marc-André Gagnon, spécialiste des politiques pharmaceutiques, a montré les limites d’une « recherche propriétaire », axée sur l’obtention d’un lucratif brevet, à l’encontre d’une « recherche collaborative » qui se base sur un échange généralisé de données. L’existence de données publiques accessibles permettrait la fabrication de vaccins en quantité beaucoup plus grande, moins chers et conçus en toute sécurité.

Dans une lettre envoyée au Journal de Montréal, le docteur Amir Khadir a rappelé que la privatisation de la recherche médicale publique au Québec nous a enlevé une expertise inestimable, celle l’Institut Armand Frappier, produisant des vaccins de base. Cet institut a été vendu pour des bagatelles à une entreprise qui a déménagé à l’étranger à la première occasion.

Bien qu’il est difficile de considérer la Russie comme pays exemplaire, la découverte du fameux vaccin Sputnik, dont les qualités ont été reconnues par la prestigieuse revue The Lancet, s’est faite dans un tout autre contexte que celui d’un univers dominé par les compagnies privées. Il a été développé par un institut de recherche d’épidémiologie et de microbiologie relevant directement du ministère de la Santé du pays. Malgré la répugnance du monde occidental à accorder des mérites à ce mauvais joueur qu’est la Russie sur le plan international — à juste titre par ailleurs —, ce succès vient tout de même nous rappeler qu’on peut avancer très efficacement en dehors du libre-marché.

Les errements de la vaccination dans notre pays, de même que les débordements qu’a connus notre système de santé pendant la première vague de l’épidémie, montrent à quel point laisser dériver un bien public précieux à l’avantage des entreprises privées a de terribles conséquences. Voilà sûrement l’une des plus importantes leçons à retenir d’une pandémie que nous combattons si difficilement.

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